Le samedi 10 juin, Cherie Dimaline, écrivaine et réviseure autochtone, prononcera le discours d’ouverture du congrès 2017 de Réviseurs Canada. La coprésidente du congrès, Suzanne Purkis, s’est entretenue avec Cherie sur la rédaction, la révision et certains des défis que doivent surmonter les écrivains autochtones au Canada.
1. Votre expérience de réviseure se transpose-t-elle dans votre méthode d’écrivaine? Si oui, comment?
Tout à fait. La révision m’a formé à être plus précise et plus concise même à la première ébauche d’un récit, au point où c’est rendu presque naturel. Familiariser mon œil de réviseure m’a permis de manipuler la langue et les outils de la langue pour rendre mon histoire vivante.
2. Pouvez-vous me décrire une expérience dans votre bas âge qui vous a appris que la langue avait une force? Cette expérience-là vous a-t-elle menée sur le chemin des écrivains?
Ma grand-mère et ses sœurs parlaient le Michif, la langue la plus « jeune » jamais reconnue et parlée. À entendre des mots qui ne pouvaient pas se traduire, et ensuite perdre ses mots quand elles sont décédées, m’a appris à apprécier — malheureusement trop tard — la magie de leurs mots. Les images, les actions et les émotions qui en sont rattachées ne seront plus jamais transmises de la même manière et ça, c’est une tragédie. Très jeune, j’ai appris que la langue et l’histoire sont porteuses d’une réalité beaucoup plus profonde et qu’on doit se battre pour elles de la même manière qu’on doit se battre pour préserver notre culture et notre art.
3. Votre livre The Girl Who Grew a Galaxy est un bel équilibre entre la tristesse, l’intensité, l’humeur et l’espoir. Qu’est-ce qui vous a poussé à raconter l’histoire de Ruby Bloom?
Comme des millions d’autres, j’ai vécu avec de l’angoisse toute ma vie. Je me souviens de ma première crise de panique le jour de ma première Communion (au début, je croyais que c’était symptomatique d’une répugnance de Dieu, mais à la longue, j’ai compris que c’était quelque chose de beaucoup plus sérieux). Ruby c’est ma tentative d’expliquer la réalité de ce que c’est que de vivre avec un trouble anxieux et les innombrables problèmes qui surviennent par la suite. Elle vit en isolement, mais avec une si grande intensité que c’est pénible. C’est comme porter des gants en caoutchouc pour laver la vaisselle; les gants nous protègent pendant que nous travaillons, mais on a quand même les mains sous l’eau. Secrètement, Ruby est mon personnage préféré (ne le dites pas aux autres).
4. Vous avez déjà publié quelques collections de courts récits et j’ai lu quelque part que le court récit était votre genre préféré. Pourquoi?
Un court récit est un défi — et aussi le point de conjonction de mes côtés réviseure et écrivaine. Je suis forcée d’écrire l’histoire la plus complète et la plus émotive dans des limites d’espaces précises. Cela donne beaucoup plus de chance au lecteur de s’immerger et d’assumer un rôle actif. Une bonne collection de courts récits se compare à une promenade dans une exposition d’art. Cela nous transforme, mais nous devons avoir un cœur ouvert à la transformation.
5. Quels sont les défis que doivent surmonter les écrivains autochtones au Canada?
L’accès aux maisons d’édition, aux ressources et à un lectorat plus vaste sont sans doute parmi nos plus grands défis. Nos histoires sont incomparables et certaines véhiculent des messages qui dépassent l’ordinaire dont nous devons équilibrer avec la liberté créatrice et les points de vue personnels. Ce n’est pas toujours évident pour un écrivain autochtone d’avoir à constamment expliquer sa collectivité, son histoire et l’oppression sous une autorité coloniale. J’ai constaté la même chose quand je travaillais à l’Université de Toronto à titre d’écrivaine résidente en littérature autochtone pour le magazine First Nations House. Nos étudiants devaient sans cesse redoubler d’efforts dans les cours : apprendre, mais en plus, faire comprendre l’identité autochtone et le colonialisme. C’est épuisant — et quasiment impossible — d’avoir à donner le style de contexte et de récit que les lecteurs ont besoin et recherchent, pour la plupart, véritablement.
6. Si vous aviez un seul conseil à donner aux réviseurs qui travaillent avec des écrivains autochtones, que serait-ce?
D’en apprendre autant que possible. Nous écrivons en anglais avec toutes ses règles et ses connotations. Nous publions chez des éditeurs populaires et nous entrons en contact avec des établissements canadiens, des écoles et des lecteurs. Nous sommes en apprentissage et en évolution constante et nous nous adaptons pour pouvoir mieux donner la chance de rendre pleinement vivantes nos histoires. Les professionnels littéraires non autochtones devraient faire un pas vers nous aussi. Le collège Humber a un bon programme au mois d’août cette année, Editing Indigenous manuscripts (la révision des manuscrits autochtones), qui invite les réviseurs de partout à venir apprendre des écrivains, des réviseurs et des maisons d’édition autochtones. Inscrivez-vous! Participez à nos événements, comme le Indigenous Writers’ Gathering (rassemblement d’écrivains autochtones), qui a lieu chaque année à Toronto. Surtout, lisez les récits qui sont déjà publiés.
7. Que peuvent faire les non autochtones pour encourager les écrivains autochtones?
Je dirais que la meilleure manière d’encourager les écrivains autochtones serait d’acheter leurs livres et de participer aux lectures publiques. Nos histoires sont belles et à crever le cœur et hilarantes et certaines sont très très vieilles. Le Canada serait plus beau pour tout un chacun si les Canadiens lisaient davantage de littérature autochtone. Les gens nous demandent souvent comment devenir de bons alliés, comment travailler avec nos collectivités, et ils se sentent souvent à l’écart du cercle intime. La meilleure manière pour nous de vous accueillir, c’est de vous inviter dans nos récits et de nous assurer qu’une fois que vous y êtes, vous nous comprenez mieux et aussi ce que votre rôle pourrait être.
8. Qui est votre écrivain autochtone préféré?
Ahh, il y en a tellement! Je vais tricher et donner une petite liste : Lee Maracle, Maria Campbell, Marilyn Dumont, Katherena Vermette, Gregory Scofield et Eden Robinson. J’ai aussi très hâte de lire les nouveaux talents qui montent sur scène : Nathan Adler, Joshua Whitehead et Alicia Elliot.
9. Le thème de notre congrès est Les Gardiens des lexiques. Quel rôle les réviseurs doivent-ils jouer pour être de vrais gardiens des langues? Comment ce rôle diffère-t-il du rôle des écrivains?
Le processus de révision était formateur par excellence vis-à-vis la rédaction. Pour me servir d’une vieille métaphore pour m’expliquer, je vais dire que les réviseurs sont les sages-femmes qui donnent naissance à l’histoire, pour assurer qu’elle tombe dans la main des lecteurs comme un être vivant, un être sacré. C’est incroyablement difficile de convaincre un écrivain d’accepter des changements et ça prend du tact (les réviseurs seraient du genre d’être de bons négociateurs). Les réviseurs sont dans le jeu, dans l’action et en même temps, ils coordonnent la stratégie. Quand je repense à certaines de mes expériences en révision en tant qu’écrivaine, c’était comme si j’arrivais sur le perron avec un casse-tête encore dans la boîte. Je m’étais penché sur chaque petit morceau, mais ce n’était qu’après qu’ils avaient tout remonté que j’ai pu voir le paysage.
Un écrivain créé, un réviseur précise. Dans ce monde de grandes littératures, un ne peut pas exister sans l’autre.
Visitez la page du congrès pour de plus amples informations, y compris le format téléchargeable de l’horaire. L’inscription se termine le lundi 29 mai à 23 h 59, heure du Pacifique.
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L’Hebdomadaire des réviseurs est le blogue officiel de Réviseurs Canada. Contactez nous.
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