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Forensique, vous connaissez?

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ACR-forensique-anglicisme_forensic, Dominique Fortier, révision française, réviseuse, réviseure, French EditorL’avez-vous déjà entendu en français, ce mot? Prononcé fo-ran-zik comme cela devrait l’être? Moi non… jusqu’à ce que je le trouve un bon matin sur mon chemin à la lecture de mon quotidien local. Et je l’ai prononcé à l’anglaise dans ma tête, soit fo-renne-zik.

Le monde des sciences est bourré d’anglicismes. La raison en est que les revues prestigieuses sont publiées en anglais, et que les chercheurs et étudiants dans ces domaines doivent s’abreuver à des sources anglaises et travailler la plupart du temps avec des livres publiés ou du matériel fabriqué par et pour les marchés anglophones. Alors les experts, professeurs ou étudiants qui doivent s’approprier ces sources et les appliquer à des contextes français — comme les cours à l’université, la pratique de la médecine, l’informatique ou tout autre aspect scientifique de notre vie en société — doivent être sans cesse aux aguets et faire un effort de tous les instants pour ne pas se laisser « corrompre » par l’autre langue. Et cela est d’autant plus difficile lorsque l’on est appelé à s’exprimer dans un contexte bilingue comme celui qui nous caractérise, ou encore lorsque les médias vous demandent de commenter une situation où votre expertise s’avère précieuse, du jour au lendemain. Ce qui est le cas ici.

Alors c’est comme ça qu’en décembre 2015, lorsque l’on a trouvé le crâne de la petite Cédrika Provencher, de Trois-Rivières, disparue depuis plusieurs années, on a fait appel à un professeur de l’Université du Québec à Trois-Rivières pour son expertise en criminologie. Ce spécialiste a expliqué, en entrevue avec une journaliste du Nouvelliste, que la Sûreté du Québec avait fait exactement ce qu’il fallait à la suite de la macabre découverte, soit la « mise en place d’une équipe sous la direction d’un directeur d’enquête avec une qualification scientifique forensique [judiciaire ou en criminalistique, en science judiciaire] pour donner de la cohérence et optimiser les chances de trouver […] ».

Pour peu que l’on ait écouté la série Bones en anglais, qui présente l’expérience de Kathy Reichs, anthropologue judiciaire (Forensic Anthropologist), on connaît le mot anglais forensic (prononcé fo-renne-zik). Mais en français, non. C’est un terme qui ne ressemble, ni de près ni de loin, à aucun autre que nous utilisons, même dans ces domaines pointus assez méconnus que sont la criminalistique ou les sciences judiciaires, dont la médecine légale.

À la décharge du scientifique, c’est un mot assez difficile à traduire selon les contextes. Par exemple, les termes forensics et forensic science se traduiront par science judiciaire, science légale1, forensic analysis par analyse judiciaire ou analyse criminalistique. Les expressions anglaises forensic medicine, legal medicine, medical jurisprudence et forensic jurisprudence se traduiront toutes par médecine légale. (La médecine légale s’occupe spécialement d’autopsie médicolégale et de l’examen des victimes dans le cas d’accidents ou d’allégations de viols ou d’agressions sexuelles2.) Le mot forensic employé seul, lorsqu’il fait référence à un médecin, se traduira par légiste, forensic evidence par preuve médicolégale, forensic scientist par expert en criminalistique. On le voit, il n’est pas simple de composer avec la traduction de ce mot à brûle-pourpoint.

Pour terminer, ce qu’a vraiment voulu exprimer le professeur de Trois-Rivières, c’est que la Sûreté du Québec avait fait exactement ce qu’il fallait à la suite de la macabre découverte, soit la « mise en place d’une équipe sous la direction d’un directeur d’enquête ayant une expertise en criminalistique ou en science judiciaire3 pour donner de la cohérence [à l’enquête] et optimiser les chances de trouver […] ».

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1 Le grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française mentionne qu’au « […] Québec, c’est l’adjectif judiciaire qui est le plus usité dans les sciences et les appellations d’emploi liées au domaine judiciaire. On trouve aussi cet adjectif dans des expressions courantes en français comme expertise judiciaire, autorité judiciaire, témoin judiciaire.

Le terme science légale est formé sur le même modèle que médecine légale. »

2 Tiré de la fiche terminologique « médecine légale » du Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française.

3 Le grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française mentionne que les « […] termes science forensique et forensique sont des emprunts à l’anglais forensic ou à l’allemand forensisch (lequel explique sans doute la forte récurrence du mot dans le français de la Suisse romande). Ils sont à éviter, puisqu’ils entrent inutilement en concurrence avec les termes français, qui sont bien implantés. »

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About the author

Dominique Fortier

Dominique Fortier est réviseure à la pige à Québec. Elle a commencé sa carrière en révision au Musée canadien des civilisations à Gatineau, une école formidable! Elle aime particulièrement la révision de textes en lecture parallèle anglais-français et la correction d’épreuves en contexte bilingue. | Dominique Fortier is a freelance French editor. She likes editing every kind of text translated from English into French.

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2 Comments on “Forensique, vous connaissez?”

  • Vos billets sont très intéressants. Il est vrai que nous sommes, dans plusieurs domaines, contaminés par des anglicismes. Il faut toujours être vigilant, tant à l’écrit qu’à l’oral. C’est lorsque je donne des cours ou que je participe à une table ronde ou à un colloque que je me sens plus vulnérable. Je dois parfois réagir vite et certaines erreurs peuvent plus facilement se glisser. La défense du français, du bon terme en français, est d’autant plus importante dans une société comme la nôtre qui dit vouloir préserver sa langue.

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    • Merci pour ce commentaire très aimable. Je suis heureuse de voir que vous lisez mes billets. C’est vrai que la qualité de la langue m’importe beaucoup, et que les anglicismes représentent une source de questionnement pratiquement intarissable. Ils se cachent partout, et souvent (la plupart du temps lorsqu’il ne s’agit pas de traductions littérales, qui paraissent comme le nez au milieu du visage), ils ne sont pas si simples à détecter. Mais c’est ce qui rend notre métier si intéressant et, selon moi, indispensable aux yeux de quiconque désire offrir des produits (sites Web, publications, livres pour enfants, rapports, étiquettes d’exposition ou tout autre produit qui comporte des mots) de première qualité.

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